A trop tirer sur la corde ...

Le 16/05/2018

Dans Humeurs

Corde
Avec son rapport "Cac 40, des profits sans partage", l'ONG Oxfam met les pieds dans le plat. Et c'est tant mieux. C'est un leitmotiv du présent site que de s'alarmer sur la croissance continue des inégalités dans les entreprises, et donc la société, avec l'appropriation des profits au seul "bénéfice" des actionnaires et des équipes dirrigeantes. Coup sur coup, Patrick Artus avec son livre "Et si les salariés se révoltaient" et l'Oxfam mettent le sujet sur la table de l'opinion publique.

Les chiffres sont accablants

Quelques chiffres parmi bien d'autres:

Plus des deux tiers des bénéfices après impôts des entreprises du Cac 40 vont aux actionnaires, contre 27% à l'investissement et 5% aux salariés.

Le salaire moyen du pdg est 257 fois supérieur au smic, contre 96 fois en 2009.

55% de la rémunération du PDG sont assis sur le cours de bourse de l'entreprise.

Les 40 entreprises du Cac détiennent 1454 filiales dans les paradis fiscaux: LVMH 234, BNPP 172, SG 133, CA 131, TOTAL 130 ...

De 2009 à 2016, les bénéfices ont augmenté de 61%, mais l'impôt de 28% seulement.

Sur cette même période, la rémunération des actionnaires a augmenté 4 fois plus vite que celle des salariés. Et si on prenait la seule rémunération des salariés non cadres, gageons que le rapport serait bien plus élevé. 

le rapport de l'Oxfam

Un management dépendant

Ce capitalisme actionarial s'est imposé dans le monde à partir des années 90. Il a remplacé un capitalisme managerial, où les pdg, élus par des conseils d'administration amis, géraient leurs entreprises quasiment sans contrôle. Il fallait attendre la quasi faillite pour voir la gestion du président éventuellement remise en cause, et alors se voir proposer une sortie discrète et honorable.

Avec la mondialisation et la financiarisation de l'économie, le pouvoir est passé des petits porteurs, amadoués aux assemblées générales par des discours émolliants et des coctails valorisants, à des institutions de placement ou de spéculation bien plus exigeants, et bien décidés à peser sur la gestion pour infléchir les résultats dans le sens souhaité. Les pdg ont alors vu leur poste dépendre du bon vouloir de ces nouveaux actionnaires, et leur plaire est devenu leur finalité première. L'augmentation de valeur pour l'actionnaire est alors devenue la priorité de l'action des présidents, car c'était la condition sine qua non de son maintien. Et pour être bien sûrs que cette priorité soit partagée par tous, les pdg ont assis leurs propres rémunérations sur les profits de l'entreprise, faisant ainsi d'une pierre deux coups : une explosion de leurs rémunérations au-delà de la décence et de la logique économique, l'asservissement des salariés à ces objectifs, leur faisant croire que le pouvoir appartient aux seuls actionnaires, parce que détenteurs des actions.

Ainsi, d'électrons libres sans contrôle, les pdg sont-ils devenus pour leur plus grand profit les serviteurs des actionnaires, toujours plus gourmands et détachés de la réalité.   

Des conséquences potentiellement dangereuses

Les risques sont évidemment forts, et seront peut-être évités si la prise de conscience de l'absurdité et de l'injustice créées par cette situation aboutit à renverser le mouvement:

- mise en avant des résultats à court terme, au détriment de l'investissement et du long terme, pouvant mettre en danger la pérénité de l'entreprise
- sentiment d'injustice croissant, pouvant aller vers des mouvements sociaux, voire une explosion sociale
- perte de sens du travail, que le salaire n'arrive pas à rémunérer décemment
- difficulté de trouver des salariés peu disposés à travailler pour des salaires ne permettant pas de vivre décemment. L'immigration supplée depuis plusieurs années à ce phénomène qui existe déjà dans le bâtiment et les travaux publics par exemple, ou la restauration, mais les flots pourraient un jour se tarir
- appauvrissement de l'économie, comme au Japon, par la stagnation de la consommation conséquence à celle du pouvoir d'achat du plus grand nombre. Les placements dans les paradis fiscaux des super-rémunérations des grands dirrigeants n'apportent bien sûr rien à l'économie, loin du ruissèlement mis en avant par certains
- dégradation du service client, dont l'intérêt n'est plus la priorité. 

Des pistes pour l'avenir

Même des fonds d'investissement agressifs s'élèvent contre ces excès de distribution, craignant qu'ils remettent en cause le futur de l'entreprise. Dans la assemblées d'actionnaires, le vote des résolutions sur la rémunération des dirrigeants suscite de plus en plus de réactions hostiles. L'indignation se généralise, y compris chez les politiques. Et ce n'est pas l'argument soulevé par certains pdg français selon lequel ils répondraient aux sirènes de l'étranger si on ne leur accordait pas ces extravagantes rémunérations qui peut changer l'opinion des observateurs, car on n'a jamais vu un pdg français appelé pour dirriger une entreprise étrangère. La mobilité inter-états des pdg est très faible, quasi inexistante même.

Le gouvernement français semble décidé à relancer les dispositions sur l'intéressement et la participation. C'est une bonne chose, un français sur deux n'en bénéficie pas. Mais beaucoup de ceux qui en bénéficient ne reçoivent que quelques symboliques centaines d'euros par an, bien loin des bonus, parts variables, stock-options, actions gratuites, attribués aux dirrigeants et cadres jugés stratégiques.

Redonner du sens

C'est d'un changement profond que nos société ont besoin. Il n'aura lieu que lorsque les grands actionnaires et dirrigeants (re?)prendront conscience que ceux qui font la valeur de l'entreprise, ce sont les salariés.

La volonté folle de croissance permanente des profits a bouleversé le regard porté sur l'entreprise. Les employés, ouvriers, cadres, sont devenus des charges, un code comptable, une variable d'ajustement comme les autres, pour maintenir ou augmenter les bénéfices quand la conjoncture est moins favorable.
Ainsi voit-on des augmentations de dividendes cohabiter avec des plans sociaux, des baisses de bénéfices, et même des pertes ! 
Ainsi voit-on des entreprises affecter leurs bénéfices au rachat de leurs propres actions, dans le seul but d'augmenter le taux apparent de rentabilité des fonds propres.

Au Japon, où les salaires n'augmentent plus depuis beaucoup d'années, l'économie est en sommeil, grevée par une consommation atone. Certains vont jusqu'à évoquer le recours à la loi pour obliger les entreprises à augmenbter les salaires!

Le capitalisme mondialisé et financiarisé a pris un virage périlleux en asservissant l'entreprise au service principal de l'actionnaire. Il est illusoire de croire que, comme le proclamait un ancien pdg de la SG, l'accroissement de valeur pour l'actionnaire est la finalité première de l'entreprise. Imagine-t-on que le salarié moyen est dopé tous les matins quand son réveil sonne par l'idée que son travail va contribuer à enrichir les capitalistes du monde entier, qu'ils soient particuliers ou personnes morales, investisseurs ou spéculateurs ?

Si ce n'est pas par générosité, fraternité, humanisme, que les capitalistes fassent évoluer leur modèle, que ce soit au moins par efficaité et réalisme. A trop tirer sur la cordre, à la fin elle se casse ! Il est grand temps de donner du moi.