... il y a eu une progression qualitative et quantitative du salariat. Sous la pression des syndicats et de la croissance, les conditions de travail se sont heureusement améliorées, jusqu'à la fin des trente dites glorieuses. Avec la mondialisation, le progrès technologique et une croissance molle, l'emploi est devenu un bien plus rare, inversant le rapport de force employeur employé. Cela a débouché sur une dérégulation sociale qui veut à mettre à bas les acquis sociaux de l'après-guerre. On sait depuis Karl Marx que les employeurs aiment bien un niveau de chômage minimum qui leur permet de ne pas augmenter les salaires ni dépenser pour l'amélioration des conditions de travail. Avec la mondialisation s'est ajouté un discours anxiogène sur la concurrence internationale exigeant de baisser les coûts de production pour survivre, amenant des pressions sur le personnel pour une toujours meilleure productivité et une gestion par objectifs avec pour seul slogan "toujours plus haut, toujours plus fort".
Et c'est ainsi que le salariat, perçu il y a quelques dizaines d'années comme plutôt pépère et protègé, est devenu aujourd'hui une activité où le stress s'étend de plus en plus, où la peur de ne pas y arriver, d'être ringardisé, non reconnu, imprègne un nombre croissant d'individus.
Arrive depuis quelques années un autre modèle, celui des entreprises type Uber, mais il y en a beaucoup d'autres, qui mettent à la disposition de travailleurs indépendants des plates-formes numériques leur permettant d'exercer une activité. Envoi de colis, conduite, courses, ménage, peuvent être exercés ainsi en Californie. Les travailleurs n'y sont pas salariés, mais travailleurs indépendants, libres de travailler pour plusieurs plates-formes s'ils le souhaitent, et à leur rythme. Charge à eux de cotiser volontairement aux assurances sociales, retraite.
Il n'est pas certain que ce modèle s'installe, un class action à l'encontre d'Uber qui vise à faire reconnaître la qualité de salarié aux chauffeurs pourrait le mettre à mort.
Pourtant, cette liberté permise par ces plates-formes qui économisent frais de marketing et équipements n'a pas que des inconvénients.
Face comme on l'a vu à une dégradation continue du plaisir au travail salarié, nombreux sont ceux qui trouveront avantage à travailler librement, sans "N+1" dépendant lui-même d'un "N+2" qui lui-même ...
Pour attirer des volontaires, des conditions attractives pourraient être proposées. Cela pourrait aboutir à un changement profond du marché du travail, avec une demande plus faible d'emploi salarié, à même de faire changer le comportement des employeurs.
Ainsi, paradoxalement, l'ubérisation des emplois pourrait avoir du bon. Liberté au travail pour ceux qui chérissent cette valeur, meilleur traitement des salariés par des employeurs qui auront plus de mal à embaucher.
Une condition cependant: que les plate-formes type Uber restent strictement dans leur rôle, c'est à dire ne créent jamais de lien de subordination avec leurs utilisateurs. Autrement on n'aura fait qu'accélérer le démantèlement des acquis sociaux. La frontière est étroite, ce sera aux syndicats, à l'Etat et à la justice d'être vigilants.