L'insoutenable popularité de Trump

Le 07/11/2018

Dans Humeurs

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Pour les humanistes du monde entier, Trump est un horrible personnage, une caricature de l'homme politique, sexiste, violent, narcissique à l'ultime, raciste, égoïste, en un mot odieux. Et ce qui est insoutenable, c'est que malgré tout, des millions de personnes non seulement ne sont pas horrifiées, mais votent pour lui et son parti, et pire encore, l'aiment.

Trump, le seul qui parle au peuple

Le personnage est détestable, incompétent, ni cultivé ni désireux de l'être, souvent ridicule et avec lui son pays, la plus grande puissance du monde.

Mais il parle au peuple. Bien que milliardaire sans scrupule, les classes populaires et moyennes voient en lui le défenseur de leurs intérêts, au contraire des dirigeants passés qu'ils accusent de les avoir laissés sur le bord de la route du progrès et de l'enrichissement.

Tous les dirigeants ou presque viennent des classes dominantes, et quand ce n'est pas le cas, ils l'intègrent bien vite pour s'y faire adopter. Trump vient aussi de la classe dominante, mais son discours ne s'adresse pas à elle, mais aux classes populaires et moyennes, celles qui travaillent et s'en estiment mal récompensées parce qu'en première ligne quand il y a contraction d'effectifs, augmentation de la productivité, baisse des coûts de production.

Les classes populaires ont de tout temps été maltraitées

Cela n'est pas nouveau. Toutes les sociétés marchandes, de tout temps, ont été inégalitaires. Aux uns les postes de commandement, on dirait "management" aujourd'hui, aux autres les postes d'exécution. Aux premiers pouvoir et richesses, aux seconds labeur, pauvreté, précarité. 

Les grandes civilisations fondatrices du monde qui est le nôtre ont toutes reposé sur l'exploitation du plus grand nombre par une élite riche et proche du pouvoir. Les pyramides d'Egypte n'ont pas enrichi les ouvriers qui les construisaient, quand bien même ils n'en mourraient pas.
La société athénienne, berceau des démocraties occidentales, était profondément inégalitaire, 30000 citoyens athéniens, hommes, propriétaires, votaient, alors que 200 000 esclaves ou "métèques" (étrangers) travaillaient sans droits. Salaires de misères, taillables et corvéables, chair à canon, c'est le destin des peuples en tous temps et tous lieux.

 

L'échec du christianisme

Un jour, Jésus chassa les marchands du temple. Il porta haut ses messages d'amour du prochain, condamna le goût de l'argent, proclamant "qu'il est plus facile de passer un chameau dans le chas d'une aiguille qu'un riche dans le royaume de Dieu", prêcha l'humilité et le pardon.

Le christianisme échoua là où il est né, en Orient, balayé par l'islam. Mais il réussit à convertir l'Europe, le martyr des plus radicaux amenant la conversion de nombreux puissants. Après la conversion de l'empereur des romains, le christianisme effaça les religions existantes, et assit son statut de religion officielle et unique en s'alliant avec les riches et les puissants.

Alors les valeurs chrétiennes furent bien vite rangées dans le placard des gadgets inutiles par les puissants de l'église, qui comme les autres ambitionnèrent pouvoirs et richesses, allant même jusqu'à faire la guerre pour grossir leur pactole.

Pendant ce temps-là, le petit peuple, dans les campagnes et les villes, criait misère, leur destin ballotté au gré des épidémies, de crises économiques, des famines et de l'arbitraire des hobereaux locaux.

La révolution industrielle arrive au XIXème siècle, et avec elle l'exode rural et la naissance d'une classe ouvrière encore plus exploitée et sous-payée.

Durant tous ces siècles, un petit nombre s'est enrichi par la guerre, la ferme de l'impôt, l'exploitation de la classe paysanne, le commerce et l'industrie. Et le plus grand nombre est resté dans l'ombre, mal payé, en situation précaire, avec peu de droits, voire pas du tout.  

L'apparition de l'humanisme

Aux XVIIIè et XIX ème siècle, la faillite du christianisme face à la cupidité des plus forts a été relayée par la naissance d'un courant de pensée plus généreux. Humanisme, utopisme, socialisme ont poussé des cris de révolte contre l'injustice de la société, et cherché des systèmes porteurs de plus d'égalité et/ou d'équité. A chacun selon ses besoins, écrivait Marx.

Le socialisme a pris le pouvoir en Russie, érigeant la propriété collective des moyens de production en solution miracle pour rendre le pouvoir au peuple et amener une société enfin égalitaire. Cela a duré 80 ans, avec quelques succès et beaucoup d'échecs, les puissants initiaux ont été remplacés par d'autres puissants, qui ont tout comme les autres ignoré les classes populaires, tout occupés qu'ils étaient à s'enrichir et maintenir leurs places de privilégiés.

La chute du communisme a sonné le glas d'un système de rechange au capitalisme, accroissant même la légitimité de ce dernier, qui se durcit même terriblement, et s'exacerba sous l'effet de la mondialisation. 

Des États impuissants face au capitalisme triomphant

Ainsi depuis la fin des années 80, le capitalisme mondialisé règne sur le monde. Désormais l'activité du monde entier se mesure à l'aune du profit, des dividendes, de la productivité, des parts de marché, de la compétitivité, des performances individuelles, des plans de carrière et des business models, des taux de croissance ... A cette fin, on rationalise, délocalise, budgète, planifie, concentre puis déconcentre, fusionne, se décentre et se recentre, achète puis vend ses congénères, remplace la machine par l'homme, compresse les frais de production.

A ce jeu-là, les forts et ceux qui appartiennent à la classe dominante tirent leur épingle du jeu, même si c'est au détriment d'une qualité de vie. L'ascenseur social régresse, et la masse des travailleurs, ouvriers, employés, petits cadres, est ballottée au gré du progrès technologique et de la volatilité des choix stratégiques des dirigeants.

Ainsi depuis trente ans, une partie importante de la population -60%?, 70%?, 80%? -, a-t-elle le sentiment que le train du progrès les laisse au bord de la voie. Pouvoir d'achat en berne, précarité croissante, suppression d'emploi réelles ou érigées en menaces.

Le populisme après l'humanisme

Aujourd'hui, au christianisme, à l'humanisme, au socialisme, succède le populisme. Certes il ne propose rien, mais les populistes sont les seuls à s'approprier les frustrations et les inquiétudes du plus grand nombre.

Trump ne vient pas de la classe populaire. Mais il parle comme elle, relaie ses préoccupations, parle de pouvoir d'achat, de la peur de l'autre, de l'étranger d'où vient tout le mal, et tant pis si les EU ont été créés, il n'y a pas si longtemps, par et seulement par, des étrangers ! Et une fois élu, Trump se différencie des autres démagogues en maintenant son discours, et continuant à s'adresser comme avant à ses électeurs.

Aussi haïssable qu'il soit, Trump se veut le défenseur de la veuve et de l'orphelin, il se veut le chantre du peuple contre les riches et les managers. Et il a un succès phénoménal.

Sa "clientèle" ne le lâche pas, bien au contraire. Le parti républicain qui lui était hostile il n'y a pas si longtemps, se tient maintenant le doigt sur la couture du pantalon. Et le populisme se répand partout, les "anti-systèmes", qui ne le sont pas vraiment, séduisent de manière irrésistible.

   

Dirigeants de tous pays, mobilisez-vous

Le populisme plait, parce qu'il répond au sentiment de révolte d'une part croissante de la population contre un système économique qui les broie.

Les dirigeants du monde, politiques mais surtout des entreprises, ne doivent pas le mépriser et le rejeter. Il y a derrière lui des vraies larmes et un vrai malheur. Aux politiques et aux dirigeants d'entreprises d'en prendre conscience d'abord, de s'en émouvoir ensuite, d'y remédier enfin.

Ce n'est pas gagné.