Dans un restaurant, alors qu'un bon nombre de personnes dînent tranquillement, des policiers arnachés comme pour faire face à une émeute, déboulent violemment, demandent à tous les clients de mettre les mains en l'air, descendent au sous-sol, démolissent deux portes à coup de bélier, alors que la première n'était pas fermée à clé, et que la deuxième accédait à la cuisine et qu'une porte à battants était juste à côté, mettent le bordel dans le bureau, puis s'en vont, en n'ayant rien trouvé et n'ayant pas même interrogé le patron. Dans un appartement à St Ouen l'Aumone, d'autres déboulent un soir à 23h, alors que son occupant allait se coucher. Comme il tarde à ouvrir, les policiers défoncent la porte, bloquent l'occupant dans la salle de bain, et fouillent en règle l'appartement: matelas tailladés, placards vidés en jettant leur contenu au sol, en un mot appartement saccagé. Là encore, rien n'a été trouvé, et l'occupant n'a pas même été interrogé. Une autre fois, c'était seulement une erreur. Au bout d'une demi heure de fouille, "Madame, désolé, on s'est trompé" !
Près de 2000 perquisitions ont été effectuées en quelques jours, avec un bilan somme toute assez maigre. Des policiers commencent à émettre des réserves, certains parlant d'opérations de communication. Le ministre lui-même a rappelé aux préfets que l'état d'urgence ne donnait pas tous les droits.
La France est encore dans l'émotion des centaines de morts et blessés du 13 novembre. Un des effets en est un fort regain de popularité de la police, traditionnellement pas trop bien vue dans notre pays. Mais qu'elle n'en profite pas.
Pendant des décennies, le pouvoir politique a démissionné face à la gestion des banlieues. Faute de solutions pour intégrer les jeunes issus de l'immigration, on a laissé se poursuivre la ghettoïsation, on a fermé les yeux sur les trafics de drogue et le commerce des armes. La justice a été clémente pour ne pas matraquer des jeunes défavorisés dès leur naissance, et ne pas les condamner à une vie de grands délinquants en alourdissant les peines. Traumatisés par la révolte des banlieues de 2005, les maires et tous les politiques ont choisi de fermer les yeux pour ne pas s'exposer à de nouvelles émeutes. Les frustrations des policiers ont dû être immenses. Il ne faudrait surtout pas que sous l'alibi de l'état d'urgence et la sympathie toute neuve de la population, ils veuillent prendre leur revanche, en "bouffant de l'arabe" sous la seule suspicion qu'il est musulman plus ou moins intégriste.
Je ne suis pas le défenseur de l'intégrisme. Mais il ne convient pas de le confondre avec le radicalisme violent. Le salafisme est un intégrisme. Mais c'est le takfirisme qui prône la violence et le terrorisme. Le zèle ne suffit pas à taxer de radical le musulman, pas plus qu'il ne permet de taxer d'inquisiteur le catholique ou de nazi le partisan du Front National.
Pour le moins, ne pourrait-on demander aux policiers de faire bénéficier le perquisitionné de la présomption d'innocence, et de respecter personnes et biens quand il n'y pas de résistance opposée à la perquisition? Quand le perquisitionné ci-dessus est allé au commissariat pour avoir un papier certifiant que les dégâts dans son appartement étaient dûs aux policiers, il lui a été répondu "s'ils sont venus chez vous, c'est qu'il y a quelque chose"! Ne pourrait-on exiger que les dégâts lui soient remboursés?
Attention danger.
Le danger est grand que le consensus post 13 novembre explose. Danger que la société se divise entre ceux qui prônent toujours plus de sévérité, tant qu'elle n'est pas dirigée contre eux, et ceux qui sont encore attachés aux droits de l'homme. Danger que les musulmans se braquent contre une société policière qui ne fait pas la différence entre les violents et les autres. L'état d'urgence ne doit pas être un blanc-seing donné aux policiers pour agir dans l'arbitraire. Ne créons pas un radicalisme policier.
Il en va de notre démocratie.