Il est resté 14 ans au pouvoir, ce qui est le record de durée de la Vème république. A-t-il marqué l'histoire? Se souviendra-t-on encore de lui dans quelques décennies?
Mitterand fut un affamé de pouvoir.
Ministre de la justice sous la IVème république pendant la guerre d'Algérie, il fut un vrai va-t-en guerre, et un justicier impitoyable. Une cinquantaine d'algériens fut condamnée à mort sous son ministère, contre zéro sous Mendès-France. N'ayant pas eu la vision que la colonisation était une idée d'un autre âge, il a agi comme il croyait que les français voulaient qu'il le fasse, c'est à dire en étant intransigeant envers les algériens partisans de l'indépendance. Jamais battu, il a obtenu le graal à un âge respectable, alors qu'il vient d'apprendre qu'il a un cancer. Malgré cela, il exécutera son mandat, en en demandant même le renouvellement, faisant fi des reproches acerbes qu'il avait lancés à Georges Pompidou dans une situation équivalente! Est-ce le pouvoir qui lui a donné cette rémission? Durant ces deux mandats, le pouvoir l'a grandi. Surtout il l'a exercé de manière très monarchique et très solennelle, portant la fonction présidentielle à des sommets qui l'ont enfermé et ont réduit ses collaborateurs au rôle de courtisans.
Il n'est pas un homme de conviction. Il n'a renié ni Pétain ni Vichy (photo de droite avec Pétain) pas même son ami Bosquet, un des principaux meneurs de la raffle du Veld'hiv. Il est venu tard au socialisme, sans doute plus par opportunisme que par adhésion à l'enseignement de Jaurès. S'il a pendant deux ans appliqué fidèlement le programme commun de la gauche, il l'a bien vite renié, et défait la plus grande partie de ce qui pouvait l'être.
Homme de culture, amoureux des belles lettres et de l'histoire, il n'a eu la vision ni de la complicité du régime de Vichy avec l'Allemagne, ni de la décolonisation qui allait défaire les empires, ni de l'éclatement du communisme. On peut être amoureux de l'histoire et ne pas reconnaître dans l'instant les moments qui la font.
Alors, est ce qu'un sens politique aigu lié à la soif de pouvoir suffit à faire de lui un grand homme? Fin tacticien, ne s'embarrassant pas trop de scrupules, de mauvaise foi avec un aplomb désarmant, cynique à ses heures, manipulateur, tueur quand il le fallait, il n'a pas hésité à lancer Le Pen pour barrer Chirac, ni à tuer le PC quand il n'a plus eu besoin de lui. Comme il a choisi pour lui succéder Chirac contre Jospin, qu'il n'aimait pas
Ces traits sont la caractéristique de tous les hommes de pouvoir, ce n'est qu'une question de curseur.
Il est dommage que l'émission se soit centrée sur cette description un peu passive de la personnalité ambigüe et contradictoire de Mitterrand, sans rechercher ce qui reste de son héritage. Doit-on se satisfaire de sa pratique monarchique du pouvoir? de son courage face à la maladie? de son habileté politique ?
La France est-elle plus grande après qu'avant? La grande Europe telle que l'ont mise en marche Mitterrand et Kohl était-elle une bonne idée, à l'aulne de ce qu'on voit aujourd'hui? Ou n'a-t-elle été motivée que par la faillite du programme commun de la gauche, et aussi de la panne de l'Europe des neuf?
Son charisme, sa profondeur, sont art oratoire, sa dangerosité, ses contradictions, font de lui un personnage imposant, fascinant, ambigü, qui semble devoir marquer l'histoire plus par ces mystères que par ses réalisations et ses visions de l'avenir. L'ère Mitterrand, sans qu'il y soit pour quoique ce soit, aura vu le capitalisme s'emballer, propulsé par une mondialisation qui libère l'économique du pouvoir du politique. Lui qui disait ne pas aimer l'argent, mais il n'en a pas manque, aura vu son règne sali par des compromissions financières.
Aujourd'hui, n'est-ce pas le personnage Mitterrand qui marque les esprits et les imaginations plus que son oeuvre et son message? Attendons encore que l'histoire avance.