Un pari plus que risqué

Le 10/06/2024

Dans Humeurs

Avec la dissolution de l'Assemblée, Emmanuel Macron a volé la victoire au RN : on ne parle aujourd'hui que des élections prochaines et de ses enjeux. Mais le pari est très risqué.

Emmanuel Macron vole la victoire au RN

Le RN a remporté sans contestation possible les élections européennes, portant la droite présumée extrême à près de 37% des votes en y incluant la liste de Marion Maréchal. Les écologistes s'effondrent, LR fait encore un peu plus mal qu'en 2019, le PS reprend vie, LFI franchit la barre des 10%, le parti présidentiel s'effondre.
Mais aujourd'hui, ce n'est pas le sujet qui intéresse. Par sa décision surprise de dissoudre l'assemblée, le président a repris la main, s'est affiché comme le maître des horloges, remettant tout le monde à l'heure d'un prochain scrutin.
Au RN, à l'enthousiasme de la victoire, une sourde inquiétude a fait suite. C'est une chose de se pavaner en futur Premier Ministre et une autre de l'être dans trois semaines, surtout quand on a 28 ans et aucune expérience ni politique ni professionnelle. Le temps de l'euphorie de la victoire aura été bref, il ne s'agit plus de s'auto-congratuler, mais de penser à la possibilité de tenir très bientôt les rênes du pouvoir. Un enjeu nouveau et imprévu pour le RN.
Emmanuel Macron tire l'enseignement du vote des français, et met tout le monde, partis politiques et citoyens, devant leurs responsabilités. Il crée un nouveau paysage politique, où la victoire de Bardella / Le Pen est quasi oubliée, passée au second plan derrière les élections prochaines.
C'est un premier succès pour Macron, mais un succès risqué, prix à payer pour éviter une fin de règne en capilotade comme cela a été le cas pour tous les présidents qui l'on précédé.

 

Emmanuel Macron ne souhaite sans doute pas une victoire du RN, qui amènerait une cohabitation avec Bardella comme Premier Ministre. 
Il table sur un sursaut des français pour refuser l'inenvisageable, et pour que leur vote de contestation n'évolue pas en un vote pour un gouvernement.
Il compte sur le retour citoyen au vote d'une partie des abstentionnistes effrayés par la perspective d'une arrivée au pouvoir du RN.
Il espère que la gauche restera divisée, ce qui permettrait aux candidats Renaissance d'être présents au second tour et de rassembler les voies dites républicaines contre le RN.
Il projette un accord avec LR qui placerait des candidats communs au second tour, capables de rassembler eux aussi les voies républicaines opposées au RN.
Chirac avait écrasé Le Pen en son temps, balayé au second tour des présidentielles de 1995.

La contestation des élites

Mais les temps ont changé. Dix neuf années ont passé, Marine a succédé à Jean-Marie, le RN s'est en partie dédiabolisé, l'extrême-droite gouverne l'Italie, et progresse partout dans les démocraties. En un mot, elle se banalise.
Si une grande partie des bulletins concerne des votes de contestation d'un système et d'un monde politique qui est rejeté,  rien donc ne dit que cette contestation ancienne et à la progression continue  reculera face à la perspective d'arrivée au pouvoir du RN.
Cette contestation est avant tout celle dirigée contre les élites, politiques et économiques, président, ministres, parlementaires, chefs d'entreprises, managers et décideurs de tout poil, présumés tous issus des mêmes couches sociales et des mêmes grandes écoles, loin du peuple et de ses préoccupations, qui gouvernent dans l'intérêt d'eux-mêmes, de leur caste, des actionnaires. Ce n'est pas complètement faux, aux actionnaires et dirigeants, dividendes, bonus, rémunérations hors-sol, aux salariés, augmentations salariales au compte-gouttes, plans sociaux, délocalisations, open-spaces, abêtissement et perte du sens du travail par la course perpétuelle à la hausse de la productivité !

 

Il n'est pas sûr non plus que la gauche ne parvienne pas à un "programme commun", au moins à un accord électoral sur des candidats communs et des règles de désistement réciproques. La conséquence pourrait en être mortelle pour les candidats du président, et Renaissance pourrait bien s'en trouver rayé de la carte. La gauche se trouverait au second tour face à des candidats du RN, et serait en position de pouvoir gagner des sièges peu prévisibles aujourd'hui.
Quant à LR, le risque le plus fort est qu'il explose, une partie concrétisant son penchant pour le RN, une autre se tournant vers Renaissance. 
Le cas favorable pour Renaissance serait celui où la gauche reste divisée, à la condition que LR et Renaissance s'entendent pour vaincre RN au second tour, ce qui n'est pas gagné, et qu'en cas de duel au second tour entre RN et Renaissance, le vote républicain joue, ce qui est loin d'être acquis.
Enfin, l'hostilité d'un grand nombre de français à l'égard d'Emmanuel Macron est épidermique, proche de la haine. Ceux-là ne failliront pas à faire venir RN au pouvoir.

Si le premier objectif d'Emmanuel Macron est atteint - on n'entend pas les cris de triomphe du RN, tous préoccupés qu'ils sont par la perspective des prochaines élections et de conduire possiblement le gouvernement - on voit mal comment la situation pourrait évoluer positivement pour la majorité présidentielle. A droite comme à gauche, on se rencontre et on promet programmes et candidats communs. Mais Renaissance reste seul, personne ne souhaitant embarquer sur un navire en perdition. La peur de l'arrivée au pouvoir du RN exacerbe la peur dans les banlieues et chez les personnes allergiques à l'extrême-droite, le pays s'agite, avec le risque que cela dégénère.
Emmanuel Macron a utilisé, dépit d'un homme trop orgueilleux, les pouvoirs que lui confère la constitution aux fins principales de préserver sa capacité à présider la France, au risque de créer le désordre puis l'arrivée au pouvoir de l'extrême-droite, qu'il prétend exécrer. 
C'est un coup de poker très risqué, condamné à gauche comme à droite, qu'on mettra peut-être en exemple dans les écoles et ailleurs si jamais le jeu tournait en sa faveur, mais qui par les risques qu'il fait prendre à la France, n'est pas tout à fait digne d'un vrai homme d'Etat.