Du Puy en Velay à Chasseradès

En 1878, Robert-Louis Stevenson (1850-1894), en froid avec son père, souffreteux, décide d'aller en France à la découverte du pays des Camisards, les Cévennes. Il part bien plus au nord, du Monastier-sur-Gazeilles, les cartes de l'époque attribuant aux Cévennes un territoire plus vaste qu'aujourd'hui. Pour porter ses encombrants bagages, il fait appel à une ânesse, la fameuse Modestine. L'amitié entre eux n'est pas immédiate, mais grandit au fur et à mesure des difficultés du voyage, au point que Robert-Louis ne résiste pas au chagrin quand il s'en sépare au terme de son parcours. La pauvre bête n'eut pas la partie facile, car la FFR étant encore à inventer à cette date, la norme de 8 à 10 kg de bagages fut allègrement dépassée par le poids du couteau, révolver, lampe à alcool, poêle, lanterne, chandelles, gourde de peau, deux assortiments complets de vêtements, sac de couchage (de l'époque), couverture, paletot de marin, chandail en tricot, livres, plaquettes de chocolat, gigot froid, bouteille de beaujolais, et du pain bis et blanc pour lui et le baudet.
Plus raisonnablement, je partis avec ma cousine, Marie-Christine, pour six étapes et à partir du Puy, bagages portés par la Malle postale. Objectif Chasseradès, en Lozère, en six étapes d'une bonne vingtaine de kilomètres chacune. 

le diaporama

Arrivée au Puy-en-Velay

Le Puy en Velay est une ville magique. Rien de mieux pour se mettre dans l'ambiance du chemin de Compostelle ou de Stevenson que d'arriver la veille au Puy. La beauté austère de sa basilique, le charme surrané de ses vieilles ruelles, la beauté de ses vieux immeubles, et la qualité de ses ... lentilles vertes vous garantissent de bons moments et la meilleure condition pour les marches des jours suivants. 

Le Puy (625m) - Le Monastier-sur-Gazeilles (930m) / 19 km

Pour quitter Le Puy, il faut monter, pour atteindre le plateau du Velay. C'est une terre volcanique aux reliefs doux et arrondis, "ce n'est pas la Suisse, c'est moins terrible, ce n'est pas l'Italie, c'est plus beau" écrit Georges Sand. Aussitôt montés, il faut redescendre pour arriver à Coubon (633m), puis remonter pour atteindre Le Monastier (930m). C'est de là que partit Robert-Louis, une stèle au milieu du village en témoigne. "Le Monastier est fameux pour la fabrication des dentelles, par l'ivrognerie, par la liberté des propos et les dissenssions politiques sans égales" écrit Stevenson. On y voit une belle église riche de dizaines de chapiteaux sculptés et d'un orgue magnifique du 16ème siècle. On aura aussi visité le château-musée des croyances populaires.
Gîte: hôtel de Provence. Accueil très agréable, bonne cuisine, chambre confortable, prix modéré. 

Le Monastier (930m) - Le Bouchet Saint Nicolas (1217m) / 22 km

Gros dénivelés pour cette étape (8 à 900m ?) où on monte et descend pour mieux remonter et redescendre. La descente vers Goudet se fait dans les pierres, avec vues sur le chateau-fort en ruine. "De toute part, Goudet est encerclé par des montagnes: des sentes rocailleuses, praticables au mieux par des ânes, rattachent la localité au reste de la France", écrit Stevenson. On traverse la Loire, un peu maigre, elle prend sa source à 25 km de là, en bas dans le village, avant de remonter de l'autre côté. Sur la fin du parcours, on voit des carrières de pouzzolane, et le chemin, rouge, pourrait presque nous donner l'illusion qu'on fait une partie de tennis et non de la randonnée.
Hébergement: gîte La Retirade, très confortable et bien décoré. Excellent dîner (énorme salade, lasagnes, fromage, dessert).

Le Bouchet (1217m) - Pradelles (1150m) / 19,5 km

Comme tous les jours, le spectacle est grandiose, d'autant que le soleil est de la partie. On a chaud dans les montées, mais un léger vent nous rafraîchit, et l'étape du jour n'est pas difficile. On traverse Landos, entrons dans le village de Jagonas, que l'itinéraire officiel évite, pour découvrir de belles maisons, passons au pied du viaduc d'Arquejol. La fin de parcours est superbe, qui nous offre des vues inoubliables sur le beau village de Pradelles. Le bourg autrefois actif à la croisée du Gévaudan et du Vivarais s'est depuis longtemps assoupi. Beaucoup de ses très belles maisons sont aujourd'hui à vendre. La création du chemin de Stevenson dans les années 90 a redonné un peu de vie au village, assurant la survie de quelques commerces et l'ouverture de quelques hébergements. 
Hébergement: gîte Relais des Randonneurs. Cuisine réunionnaise agréable, bon accueil. Le gîte est en cours de restauration, notre chambre comprenait juste le minimum, placard salle d'eau et mini wc sur le palier. Les personnes un peu volumineuses doivent s'abstenir. 

Pradelles (1150m) - Cheylard-l'Evêque (1125m) / 22 km

A moins de six kilomètres de Pradelles, se trouve Langogne. On est maintenant dans le Gévaudan. "Car je me trouvais maintenant à la lisière du Velay et tout ce que j'apercevais était situé dans une autre région - le Gévaudan sauvage, montagneux, inculte, de fraîche date déboisé par crainte des loups".
Langogne est une petite ville très active, dans laquelle on entre par un pont qui passe au-dessus de l'Allier. Le GR 70 n'entre pas dans le vieux centre. Pourtant il mérite le détour. L'église est une ancienne église abbatiale, datant des XI et XIIè s., de style roman bourguignon (classée monument historique). On peut y admirer une centaine de chapiteaux aux sculptures variées qui témoignent des terreurs mystiques du Moyen-Age. La place circulaire qui l'entoure rappelle l'enceinte médiévale, au-delà de laquelle on peut voir une halle de 1743.
L'étape suivante sera Saint Flour de Mercoire, qu'on atteint après une longue montée sur une petite route goudronnée. Plus loin, dans la forêt, on passe devant le ron de la Baoume. L'antre de la bête. Car on est dans le Gévaudan, mais bête s'il y avait serait très vieille aujourd'hui ! Donc même pas peur ! Et d'ailleurs un paysan l'aurait tuée le 19 juin 1767, ce serait un loup rougeâtre, à la tête très grosse, au museau allongé.
Il n'y a plus qu'à descendre pour arriver à l'étape du jour, Cheylard-l'Evêque. "A parler franc, Cheylard ne méritait qu'à peine toute cette recherche. Quelques issues accidentées de village, sans rues définies, mais une suite de placettes où s'entassaient des bûches et des fagots, un couple de croix avec des inscriptions, une chapelle à ND-de-toutes-Grâces au faîte d'une butte, tout cela sis au bord d'une rivière murmurante des montagnes, dans un renfoncement de vallée aride".
Hébergement: gîte du Moure, chambre très cosy, la plus belle du séjour, beau repas, très agréable étape. 

Cheylard l'Evêque (1125m) - La Bastide Puylaurent (1024m) / 19 km

Gelée blanche au départ de Cheylard, pas plus de 5°, mais pas de vent et ciel tout bleu. La belle étape du jour sera Luc, petit bourg un peu trop calme, mais surmonté d'un beau château médiéval qui présente de belles ruines et un panorama spectaculaire. Nous pique-niquerons au pied du donjon. "Luc lui-même se compose d'une double rangée éparse d'habitations resserrées entre une montagne et une rivière. Il n'offre aux regards ni beauté ni le moindre trait notable, sinon l'antique château qui le surplombe avec ses cinquante quintaux de Madone tout battant neufs". Le GR aujourd'hui mène les marcheurs à l'abbaye de ND des Neiges. Nous avons choisi d'aller directement à La Bastide Puylaurent, et de nous rendre le lendemain à l'abbaye avant de piquer vers Chasseradès.
Hébergement: hôtel Les Genets. Repas correct, chambre totalement désuète.

La Bastide Puylaurent (1024m) - Chasseradès (1150m)

Sur les pas de Robert-Louis, nous faisons un crochet vers l'Est pour voir l'abbaye de ND des Neiges. RL y passa trois jours, et parla abondamment théologie, lui le protestant, avec le père Apollinaire. "J'ai rarement éprouvé plus d'angoisse sincère qu'en approchant ce monastère de Notre-Dame des Neiges. Est-ce d'avoir reçu une éducation protestante?" Cette abbaye de trappistes fut fondée en 1850, et reconstruite deux fois, la dernière fois en 1912. Elle connut le passage de Charles de Foucault qui y séjourna 6 mois en 1890, avant de patir vers une vie d'ermite au Sahara, où il perdit la vie. Si les trappistes vivent en reclus, des bâtiments ont été construits à l'écart des bâtiments abbatiaux, qui accueillent randonneurs et retraitants. 
Encore une jolie étape, c'est lassant de le dire, mais si belle à parcourir. Chasseradès est un charmant village, où quelques personnes seulement vivent encore l'hiver, et qui offre un gîte tout à fait agréable, avec un repas pantagruélique et de grande qualité.
Hébergement: relais de Modestine, jolie chambre, magnifique repas, très bon accueil.

 

Fin ... et suite

Nous sommes arrivés au terme de notre voyage ... pour cette année. Le plus beau reste à faire, le plus dur aussi, la montée au Mont Lozère et les Cévennes. Ce sera pour l'an prochain, en septembre, un peu plus tôt que cette année.
La Malle postale nous ramenant au Puy dans l'après-midi, nous avons poursuivi le GR sur 6 km, soit 12 AR, histoire de s'assurer que la suite était aussi séduisante. Elle l'est, très vallonnée comme toujours, grosse descente vers Mirandol, avec son vieux village au pied de l'Aqueduc (ci-dessous), 2ème aqueduc français par son altitude.
Sûr que nous poursuivrons l'an prochain, avec un groupe qu'on envisage d'élargir.

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